L’action dont nous répondons aujourd’hui devant vous, présente un caractère exceptionnel et nous vous demandons de croire que seuls des motifs d’un caractère également exceptionnel ont pu nous déterminer à l’entreprendre. Nous ne sommes ni des fascistes ni des factieux mais des Français nationaux, Français de souche ou Français de coeur, et ce sont les malheurs de la patrie qui nous ont conduits sur ces bancs. Je suis le chef de ceux qui sont ici, j’assume à ce titre toutes mes responsabilités et c’est pourquoi je parlerai au nom de mes camarades et plus longuement qu’ils ne l’ont fait avant moi.
Nos motifs d’action sont liés aux conséquences de l’effroyable drame humain et national qui, à la suite des événements qui se sont déroulés en Algérie depuis bientôt cinq ans, ont mis en jeu, et mettent encore journellement en jeu la liberté, les biens et la vie de très nombreux Français ; après avoir mis en jeu l’existence même, en tant que telles, de collectivités nationales dans leur ensemble, et l’existence même du principe de l’unité nationale.
Nos motifs d’action sont liés aussi, et par voie de conséquence, au danger, mortel, à notre avis, que fait courir à notre pays l’actuel pouvoir de fait : par suite des conditions dans lesquelles a été obtenu ce qu’on a osé appeler le règlement du problème algérien, des principes et des lois qui sont, ou qui devraient être à la base de la vie nationale, ont été mis en question. Les nations sont mortelles et, dans un passé lointain ou proche, des nations ont cessé d’exister en tant que telles. Le danger que court actuellement ce pays ne vient pas d’un risque de destruction physique ou matérielle : il est plus subtil et plus profond car il peut aboutir à la destruction de valeurs humaines, morales et spirituelles qui constituent le patrimoine français.
Ce patrimoine procède d’un héritage qui est à la fois grec, latin, occidental et chrétien et repose sur une conception précise de la liberté et de la dignité de l’homme et des collectivités humaines et sur la mise en application de principes fondamentaux qui ont un caractère universel et qui sont la recherche et le souci de la justice, le respect de la vérité et de la parole donnée et la solidarité fraternelle entre tous ceux qui appartiennent à la même collectivité nationale. Nous croyons qu’on ne viole pas impunément et cyniquement ces différents principes sans mettre en péril de mort, dans son esprit et dans son âme, la nation tout entière ; sans la mettre, par le fait même, à la merci des diverses formes de matérialisme moderne, au premier rang desquels se place évidemment le totalitarisme communiste, négateur de la liberté humaine, qui empêche l’homme et les collectivités de s’épanouir librement, en en faisant de simples éléments dans le cadre et au service d’une doctrine perverse et fausse.
Nous croyons nécessaire, au début de cette déclaration, de rappeler brièvement ce que furent, au cours des cinq dernières années, les principaux aspects du drame algérien. Ce drame n’appartient pas encore au passé ; il est inscrit aujourd’hui dans la chair et dans le cœur de millions d’êtres humains.
Rappelons-nous que la période de mai-juin 1958 avait été précédée par des mois de troubles et d’incertitudes qui avaient ébranlé l’armée française et l’opinion publique. Un changement du régime politique français fut rendu possible par l’attitude de l’Armée et s’opéra à Paris. Ce fut à cette époque que des engagements solennels furent pris devant le peuple français, devant l’Armée et devant les différentes communautés d’Algérie par celui qui personnifiait le nouveau pouvoir politique. Ces engagements furent pris sous forme de serments à Oran, à Mostaganem, à Bône et autres lieux de la terre algérienne ; et ces serments proclamèrent que l’Algérie resterait terre française et que tous les habitants d’Algérie deviendraient des Français à part entière. Ces engagements, nul n’était obligé de les prendre ; ces serments, nul n’était obligé de les prêter ; mais dès lors qu’ils étaient pris par un chef de gouvernement nouvellement investi, ils avaient valeur de programme politique. Serments prêtés par un officier général en uniforme devant d’autres officiers et soldats, c’était une question d’honneur, d’honnêteté intellectuelle et de simple bonne foi de tout faire, de faire tout ce qui était humainement possible pour honorer ces engagements et pour tenir ces serments.
A l’époque, ces engagements impliquaient toute une politique qui fut, dès ce moment, mise en œuvre par l’Armée et par l’administration française en Algérie ; ils signifièrent la parole donnée, au nom de la France, par d’innombrables officiers et fonctionnaires ; ils signifiaient l’engagement à nos côtés, dans la vie et dans la mort, de milliers de Musulmans français qui, par les paroles mêmes du nouveau chef de l’État, étaient incités à faire confiance à la France et à se ranger à ses côtés.
A cette époque, ces engagements représentaient pour la majorité des Français, et pour l’armée française, un programme politique qui était à la fois réaliste, conforme aux intérêts moraux et matériels de tous les habitants d’Algérie, conforme aux intérêts supérieurs et stratégiques de notre pays : l’Algérie était française depuis cent trente ans, la vie menée en commun sur le sol algérien par les diverses communautés, le sang versé en commun sur les champs de bataille, avaient créé des liens qui, vraisemblablement, pouvaient devenir inaltérables.
Le nationalisme algérien n’existait vraiment que dans des sphères assez restreintes, chez une minorité d’agitateurs politiques et de terroristes. Ce nationalisme ne touchait pas profondément les masses qu’il aurait été possible, selon toute vraisemblance, de rallier définitivement à la France dans la mesure où celle-ci se serait montrée forte, généreuse et unie. Il fallait pour cela une ligne politique ferme et continue venant de Paris, mettant en œuvre divers moyens propres à montrer aux Musulmans que leur intérêt moral et matériel était de rester français, à les amener progressivement à confirmer en toute liberté leur option française. Ces musulmans avaient infiniment plus à gagner dans une véritable libération de l’individu et de leur personne humaine, libération effectuée dans la justice et dans la dignité d’homme, que dans une prétendue libération collective et nationale dont nous constatons aujourd’hui, et dont ils constatent eux-mêmes les funestes résultats.
C’est pourquoi nous étions sincèrement partisans de l’Algérie française, parce que nous estimions cette solution réaliste et bénéfique pour tous ; mais nous concevions qu’il y eut d’autres solutions pour l’avenir algérien, solutions pouvant être défendues de façon honnête et sincère ; l’impératif absolu, quelle que fût la solution finalement retenue, était, en tout état de cause, et sous peine de trahison et d’infamie pour le pouvoir politique mettant en œuvre cette solution, de faire respecter la vie, la liberté et les biens des millions de Français de souche et de Français musulmans vivant sur cette terre.
Il apparut, dès la fin de l’année 1958, au cours de conversations privées, et à l’automne 1959 à l’occasion d’une déclaration publique, que le chef de l’Etat nouvellement investi était décidé à rompre et à remettre en question ces engagements, ces serments, prêtés avec tant de solennité, rendant caduc le programme politique et humain qu’il avait officiellement fait sien à la mi-1958. Durant ce très court laps de temps, il n’y eut aucun fait national ou international important qui pût fournir le moindre prétexte à reconsidérer ces engagements. Bien au contraire, le peuple français et les communautés d’Algérie avaient, à l’occasion du référendum de novembre 1958, approuvé massivement le principe de l’Algérie terre française ; la nouvelle Constitution, qui n’a pas été révisée depuis sur ces points, confirmait l’appartenance à la nation des départements français d’Algérie et du Sahara, rendait le président de la République responsable, sous peine de haute trahison, de l’intégrité territoriale de la nation et déclarait explicitement, en son article 89, qu’aucune procédure de révision ne pouvait être engagée concernant l’intégrité du territoire national.
Par ailleurs, il n’existait aucune nation occidentale ou amie de la France qui ne fût disposée à reconnaître le bien-fondé de nos droits et responsabilités sur l’Algérie. S’il y en avait eu, l’expérience vécue et l’exemple donné par des nations occidentales beaucoup moins puissantes que la France, montrent qu’il aurait été possible, même contre la volonté de certaines nations alliées, de maintenir ces droits et responsabilités africaines.
Pourquoi, alors, avoir pris ces engagements que le pouvoir remettait en question avec tant de cynisme et de désinvolture ? La conviction de nos amis, étayée par tous les événements qui ont suivi, est que les engagements de juin 1958, dont la rupture a fait couler tant de sang et tant de larmes, a occasionné tant de malheurs et tant de deuils, n’ont été pris que dans un but tactique et ne correspondaient nullement à la pensée profonde, aux intentions réelles du chef de l’Etat ; en juin 1958, le pouvoir politique que son actuel détenteur venait de retrouver d’une manière inespérée, après l’avoir attendu et espéré vainement douze années durant, ce pouvoir était encore fragile et sous la dépendance immédiate de ceux qui, à Alger, avaient prêté le serment de l’Algérie française ; il fallait leur donner des gages de bonne volonté pour conserver et affermir ce pouvoir auquel on tenait par-dessus tout et dont l’on croyait avoir été si longtemps injustement frustré.
A notre avis, c’est là un point essentiel et qui portait en germe tout ce qui allait suivre ; en prêtant, dans un but tactique, des serments qu’il n’était pas décidé à tenir, l’actuel chef de l’Etat montrait qu’il était décidé à exercer son pouvoir envers et contre tout, en utilisant les moyens et les méthodes les plus cyniques et moralement les plus condamnables. J’ai d’ailleurs trouvé récemment dans un hebdomadaire qui avait groupé un certain nombre de "bons mots" gaullistes, la sentence suivante : "Comme un homme politique ne croit jamais ce qu’il dit, il est tout étonné quand il est cru sur parole."
Messieurs, tous les Français nationaux qui nous ont précédés devant ce tribunal, ou devant d’autres cours de justice, en particulier le général Salan, ont qualifié comme il convenait la rupture de ces engagements de juin 1958 : le parjure qui en est résulté constitue l’une des plus grandes, et peut-être la plus grande imposture de l’Histoire de France ; la rupture de ces engagements qui, à partir de 1959, allait être consommée dans les faits en vertu de déclarations et initiatives successives, savamment graduées, constitue une escroquerie politique et morale apparemment sans précédent ; ses conséquences en furent à la fois tragiques et immenses, et ces conséquences sont très loin d’être épuisées aujourd’hui.
Dès lors que l’on avait basé une politique sur le parjure et le reniement, il devenait impossible de s’arrêter de mentir, de se parjurer et de se renier. En premier lieu, les conditions posées, en septembre l959, à l’exercice de l’autodétermination, n’ont aucunement été tenues. Ensuite nous avons entendu successivement des déclarations et professions de foi sur la solution la plus française dont, en janvier 1960, le chef de l’Etat se déclarait partisan en Algérie ; nous avons entendu des assurances selon lesquelles on ne livrerait jamais l’Algérie au FLN, c’est-à-dire au chaos et à l’égorgement généralisé ; selon lesquelles le drapeau FLN ne flotterait jamais sur Alger ; selon lesquelles on ne traiterait jamais avec le seul FLN ; apparemment, toutes ces déclarations ont été faites pour désarmer et tromper les opposants successifs, pour abuser de leur bonne foi afin de réduire leur opposition.
Quel était donc, dans l’esprit de son auteur, le but réel de cette politique menée avec des méthodes si condamnables et dont nous voyons aujourd’hui les si mauvais résultats ? Le but affiché semble avoir été de faire de l’Algérie un Etat indépendant et coopérant à la faveur de mutations historiques que l’on déclarait irréversibles et inévitables, dont l’actuel chef de l’État se voulait l’initiateur et l’artisan, dont il se croyait seul à pouvoir hâter la réalisation en tant que pouvant assumer "seul" une grande tâche historique.
Ces vues dénotent, à notre avis, en même temps qu’un sens personnel démesuré, une très forte imprégnation matérialiste et marxiste ; car le sens de l’Histoire, le grand vent de l’Histoire, sont des notions matérialistes et marxistes ; il n’y a pas de sens de l’Histoire, il n’y a pas de vent de l’Histoire, car ce qui fait l’Histoire, selon notre conception occidentale et chrétienne, qui est vérifiée par tous les faits historiques, c’est la volonté des hommes, c’est l’intelligence des hommes, ce sont leurs passions bonnes ou mauvaises.
Quant aux rapports entre coloniaux et colonisés, il est bien certain qu’ils doivent évoluer au fur et à mesure que ces derniers évoluent eux-mêmes ; mais il n’est nullement assuré que cette évolution doive se faire sous la forme d’une rupture avec le passé, ni même sous la forme de la reconnaissance d’une indépendance accordée à de multiples nouvelles nations qui n’ont pas toujours les moyens d’exercer réellement cette indépendance.
Pour justifier sa politique, le chef de l’Etat a employé d’autres arguments dont aucun n’était sérieux ou défendable : on a dit que l’Algérie coûtait trop cher, on a dit que la guerre d’Algérie était absurde et périmée, alors qu’au contraire aucune guerre peut-être ne pouvait se justifier mieux que celle-là, puisqu’il s’agissait de défendre des valeurs de civilisation humaine et les intérêts moraux, humains et matériels, de populations françaises tout entières, en même temps que les intérêts stratégiques de tous les Français.
Dès 1960, il était clair, pour ceux qui vivaient en Algérie, que la politique du pouvoir ne pouvait aboutir qu’à la prise en compte du pays par les hommes et les terroristes du FLN, c’est-à-dire à une dictature sanglante et cruelle, ou à l’anarchie, ou à un mélange de dictature et d’anarchie.
Cette population française d’Algérie, qui avait conscience que le gouvernement français sacrifiait ses droits les plus sacrés et ses intérêts les plus légitimes, s’est efforcée de prendre en main la défense de ses droits et de ses intérêts ; elle l’a fait avec le concours de généraux et de nombreux officiers français, ce qui restera, pour ces généraux et ces officiers, un honneur devant l’Histoire : cette autodéfense des populations françaises d’Algérie était profondément légitime ; tous les juristes, les moralistes, reconnaissent la légitimité profonde de l’insurrection d’une population menacée, dans son existence même, par l’action et les procédés d’un pouvoir tyrannique : ce pouvoir qui avait le devoir de les protéger et qui, bien au contraire, s’arrogea, contre toutes les lois de la nature, le droit de les contraindre, par la violence, à un destin qu’elles refusaient.
Cette autodéfense des populations d’Algérie a été menée sur divers plans ; elle a comporté certains excès que, pour ma part, j’ai beaucoup déplorés, mais qui étaient presque inévitables car, dans toute guerre, a fortiori dans les insurrections, il y a des excès ; et les troupes de Jeanne d’Arc, elles-mêmes, se sont livrées plusieurs fois à des massacres. Il y a peut-être eu aussi dans ce combat des Français d’Algérie des erreurs de méthode qui ont probablement influé sur le résultat final ; ce résultat étant que, malgré la résistance, le pouvoir politique actuel réussit à imposer sa volonté à ces populations.
Pour réussir à imposer cette volonté, le pouvoir, qui violait le sentiment national des Français d’Algérie, de la façon la plus contraire aux lois de la nature, a décidé d’employer tous les moyens pour briser la résistance nationale en Algérie ; et ces moyens ont le plus souvent été atroces. Les mensonges du chef de l’Etat le conduisirent, comme c’était prévisible, au crime. Il y eut les rafles, les ratissages, les perquisitions. Il y eut de nombreux patriotes, hommes et femmes, torturés dans des conditions abominables, selon des méthodes analogues à celles de la Gestapo nazie. Face à la résistance des grandes villes françaises d’Algérie, des unités spéciales acceptèrent d’employer et de généraliser les méthodes que les troupes allemandes n’avaient que rarement utilisées pendant l’occupation, et que nos troupes elles-mêmes n’avaient jamais employées au cours de la répression anti-FLN. Le feu fut ouvert systématiquement contre des éléments civils non armés qui manifestaient pacifiquement leurs sentiments nationaux ou qui même ne manifestaient pas du tout ; des femmes furent blessées ou tuées en allant chercher du ravitaillement ou en étendant leur linge à leur balcon ; des femmes et des enfants furent blessés ou tués au fond de leur appartement ; la diffusion des documents relatant les conditions et les résultats de la fusillade du 26 mars à Alger, qui fit des centaines de victimes, fut interdite. Cette fusillade du 26 mars et diverses autres opérations menées contre les populations, ont fait plus de victimes que le massacre d’Oradour-sur-Glane qui fut, à la fin de la dernière guerre, cité comme l’exemple de la barbarie nazie. Cette répression inhumaine était exercée par des Français contre d’autres Français, qui ne luttaient que pour rester Français sur la terre de leurs pères. Elle restera dans l’Histoire le signe de l’inhumanité totale de celui qui l’a ordonnée.
Parallèlement, le pouvoir, en négociant, des années durant, avec les seuls représentants du terrorisme FLN, lui reconnaissait dans les faits la représentativité exclusive des populations musulmanes et le droit à prendre en main l’Algérie indépendante, décourageant par le fait même les sentiments pro-français de très nombreux Musulmans. Il plongeait dans des épreuves sanglantes les Musulmans qui s’étaient formellement engagés à nos côtés. Il encourageait à l’attentisme ceux qui étaient prêts à se rallier ; il décourageait dans les faits, à propos de l’affaire Si Salah, des ralliements possibles ; quant à la large fraction de la population musulmane qui s’était tenue sur une prudente et compréhensible réserve, il la poussait franchement dans les bras du FLN.
On reconnaît l’arbre à ses fruits. La politique qui, des années durant, n’avait été qu’une politique de trahison, aboutit aux accords d’Evian passés avec des représentants FLN qui étaient hors d’état de les faire respecter. Ces accords furent tout de suiteviolés de la façon la plus grave sans que l’actuel pouvoir fît quoi que ce soit de sérieux pour les faire honorer.
Il existait en Algérie une collectivité nationale française nombreuse, dynamique et florissante. Cette collectivité était fortement enracinée sur ses terres et dans ses villes ; ces terres et ces villes avaient tous les caractères de terres et de villes françaises ; cette population y avait ses coutumes, ses traditions, ses cimetières et ses morts. Les représentants de cette collectivité avaient depuis longtemps dénoncé et prévu les funestes conséquences de cette politique faite sans eux et contre eux. Cette collectivité fut littéralement dispersée et détruite à la suite des accords d’Evian ; la plus grande partie fut contrainte de s’exiler dans des conditions qui furent pires que celles de la débâcle de 1940, qui s’effectua pourtant en présence et sous la pression des troupes ennemies ; les conditions dans lesquelles s’effectua cet exil, et l’arrivée en France des réfugiés sont indignes d’une grande nation occidentale, et jamais les gouvernements de pays comme la Grande-Bretagne et les États-Unis n’auraient permis que leurs nationaux fussent ainsi traités.
L’accueil en métropole fut, à l’origine, très mal organisé par le gouvernement bien que, dès le début, des initiatives privées fissent tout ce qui était en leur pouvoir pour l’améliorer. Cet hiver, la situation de la plus grande partie de ces réfugiés est, à tous égards, très précaire ; une grande partie d’entre eux ont perdu, avec des êtres très chers, la totalité ou l’essentiel de leur biens, et nombreux sont ceux qui ont perdu ce qui faisait leur raison de vivre. De nombreux réfugiés n’ont-ils pas été conduits par le désespoir aux pires extrémités ?
"Vous souffrirez", avait dit le chef de l’Etat aux représentants du peuple pied-noir ; beaucoup de ceux qui se sont exilés en métropole ont en effet beaucoup souffert déjà par la faute du chef de l’Etat ; mais ceux qui sont restés en Algérie n’ont rien à leur envier, bien au contraire. Ceux-là sont réduits à la condition de citoyens de second ordre et, dans le nouvel Etat indépendant, leur liberté, leurs biens et leur sécurité sont à tout moment menacés. Il y a eu, ces derniers mois, plusieurs milliers d’enlèvements et, pour les proches personnes enlevées, cette condition est parfois pire que la nouvelle d’une mort certaine, parce qu’elle permet de tout supposer. Il y a des femmes françaises enlevées qui servent de passe-temps aux nouveaux maîtres de l’Algérie, sans que, et c’est l’infamie, les responsables français fassent quoi que ce soit pour les délivrer. Il y a eu des centaines d’assassinats, des lynchages, des viols. Le pouvoir politique qui dispose encore de forces armées importantes en Algérie, n’a pas agi pour limiter ou épargner ces souffrances et ces crimes ; il est donc directement complice de ces crimes et de ces exactions fondamentalement contraires aux accords qui ont été signés.
Cependant, la trahison de l’actuel pouvoir politique à l’égard des populations françaises musulmanes est certainement plus infâme encore et ses crimes plus impardonnables. Car il s’agit d’hommes et de femmes qui, ayant fait confiance à la parole du chef de l’Etat, général en uniforme, ayant fait confiance à l’Armée et à l’administration française agissant conformément à la politique et aux instructions du gouvernement, s’étaient, en vertu d’un choix libre et courageux, rangés à nos côtés, et pour beaucoup d’entre eux avaient combattu à nos côtés. Parmi ces populations françaises musulmanes, il y a eu la fraction d’entre elles qui, grâce aux officiers agissant parfois de leur seule initiative et contrairement aux instructions de M. Joxe, ont pu gagner la métropole, abandonnant leurs terres, et sont installées maintenant dans des conditions souvent misérables, parfois en butte aux menaces des agents du FLN. Mais il y a ceux, beaucoup plus nombreux, qui ont été purement et simplement abandonnés à leurs bourreaux et à leurs égorgeurs. La presse, et surtout la radio d’Etat, a été singulièrement discrète sur l’ampleur des massacres et des tortures infligés aux Musulmans francophiles qui sont nos frères. Tous ces hommes sont actuellement sous le coup d’une loi d’épuration. Dans certaines régions d’Algérie, tous ces hommes sont morts en prison. Il s’agit d’un véritable génocide, perpétré contre des Musulmans qui avaient cru en la France ; ce génocide a fait plusieurs dizaines ou centaines de milliers de victimes mises à mort dans des conditions et après des tortures abominables. Ces massacres dépassent de loin en horreur ceux de Katyn, ceux de Budapest, ceux du Katanga, et le caractère monstrueux du dictateur apparaît à son indifférence devant ces indicibles souffrances qui sont pour lui autant de manquements à l’honneur.
On doit se demander à qui profite cette politique algérienne du pouvoir, qui a dispersé et ruiné la communauté française de souche, la communauté israélite, et qui a laissé égorger et emprisonner la fraction musulmane francophile. Elle ne profite qu’à un tout petit groupe de meneurs et de politiciens, car elle ne profite nullement à la masse des Musulmans ; la situation de ces masses est très mauvaise et depuis l’indépendance elle n’a fait qu’empirer, quoi qu’on en ait dit, et malgré les centaines de milliards engloutis à fonds perdus par le gouvernement français en vertu de la plus aberrante des attitudes, la misère est grande et le chômage généralisé. De très nombreux Musulmans regrettent plus ou moins ouvertement la paix française ; ceci a été constaté par les journalistes français qui furent les propagandistes les plus acharnés de l’indépendance de l’Algérie. Il est probable que des convulsions internes secoueront encore longtemps l’Algérie indépendante ; sans parler des discordes et rivalités avec les pays voisins. Si elle peut sortir de ces convulsions, ce sera pour se trouver sous l’emprise d’un régime totalitaire, c’est-à-dire un régime basé sur la dictature de quelques hommes et sur le contrôle de toutes les activités du pays par un parti politique unique opprimant la personne humaine, ne tenant pas compte des libertés et asservissant les populations.
Tels sont les fruits amers et sanglants d’une politique basée tout entière sur le mensonge, le parjure, l’imposture et la violence. Pour qualifier cette politique nous nous référerons à ce qu’en a écrit dans un ouvrage récent, un juriste éminent, aux termes d’une analyse irréfutable sur les plans humain et juridique : "La politique algérienne du général de Gaulle est un crime contre l’humanité, elle n’est qu’ignominie et déshonneur." Ces paroles, nous les faisons nôtres ; et nous ajoutons qu’il n’y a pas, dans l’histoire de notre pays, de précèdent à un abandon aussi infamant du patrimoine national ; abandon auquel nulle circonstance ou pression extérieure ne pouvaient fournir le moindre commencement de prétexte, depuis que, au début du XVe siècle, une femme, la reine Isabeau de Bavière, aliéna la couronne de France.
Le désastre algérien, avec tous ses morts et toutes ses ruines, pouvait être évité et il a tenu essentiellement à l’acharnement de la volonté d’un très vieil homme. Ce désastre, si on le mesure en vies humaines perdues et en biens matériels aliénés, est pire que ceux que la France a connus en 1870 et en 1940, qui ont été causés par une défaite des armes françaises.
Mais surtout, ce désastre nous fait perdre l’honneur ; en couvrant d’infamie le drapeau français qui a été amené, dans l’abandon de ceux qui avaient cru en la France. La réalité de ce désastre prouve que dans ce pays fatigué, désorienté et trompé, il est possible à un homme sans scrupule ne reculant devant aucun moyen, poursuivant des vues politiques aberrantes et les confondant souvent avec ses propres ressentiments et ses vengeances à assouvir, de déchaîner les forces du mal sans trouver, dans l’immédiat, des obstacles suffisamment forts à son entreprise funeste.
En passant à la seconde partie de cet exposé, je voudrais mentionner que ce qui est en cause, en raison de l’actuel pouvoir politique et en raison des conditions dans lesquelles il ose se féliciter aujourd’hui d’avoir tranché le problème algérien, c’est, purement et simplement, l’existence de la France en tant que nation libre.
Renan disait qu’une nation est une âme, un principe spirituel. Une nation est aussi une entité, c’est un être moral qui a une existence propre et qui se compose de collectivités d’êtres humains, mus par des sentiments humains, bons ou mauvais, que l’on peut qualifier sur le plan moral. Les nations peuvent mourir et, au cours de l’Histoire, de nombreuses nations sont mortes parce qu’elles n’ont plus trouvé en elles des sentiments humains assez bons et assez forts pour assurer la survie de la nation face aux périls extérieurs, et pour dégager de leur sein les élites et les dirigeants capables de les mener, non à des abandons et à des démissions successifs, mais sur les chemins qui conduisent à conserver, au besoin par la force, leur patrimoine humain, spirituel et matériel.
Au nombre de ces sentiments humains que chaque membre de la nation, chaque citoyen, doit posséder à un degré d’autant plus marqué qu’il occupe un rang plus élevé dans la vie et dans les responsabilités de la nation, se trouvent ceux que l’on appelle : le sens civique ; le sens de la solidarité nationale, c’est-à-dire l’aptitude de chacun à se sentir effectivement solidaire des épreuves et des souffrances de ses concitoyens, même si ces épreuves et ces souffrances ne le concernent pas directement ; le sens de la fierté nationale, de la conservation du patrimoine national qui implique que le citoyen, sachant ce qu’est ce patrimoine qu’ont légué ceux qui l’ont précédé, est prêt et est décidé à le défendre par son labeur, et, à la limite, par son sang. Si ces sentiments n’existent plus, ou sont affaiblis, la collectivité nationale n’existe plus en tant que telle, elle n’est plus qu’une juxtaposition d’individus qui ne forment plus une nation. Cette juxtaposition d’individus dénationalisés est alors prête à se laisser mener, par des chefs indignes ou aveugles, à toutes les aventures du monde moderne et se trouve essentiellement vulnérable aux entreprises de subversion idéologique et matérialiste. Elle n’est plus apte à "survivre".
Le premier devoir d’un gouvernement, d’un chef d’Etat dépositaire du patrimoine national, est précisément de veiller à ce que ces sentiments de solidarité nationale, ce sens de la conservation du patrimoine, soit éveillé ou réveillé chez tous les nationaux ; la collectivité nationale, comme d’autres collectivités humaines, repose sur des bases naturelles et légitimes ; ces sentiments que je viens d’énoncer sont naturels et légitimes ; et les ébranler c’est ébranler, par le fait même, les bases de la nation ; c’est faire acte contre nature de détourner ces sentiments de leur véritable objet. Le crime le plus grand que puisse commettre un chef d’Etat, c’est précisément de violer ces sentiments chez des êtres dont il a la responsabilité politique, de les amoindrir ou de les dénaturer. Et c’est précisément ce qui a été fait par l’actuel pouvoir politique, dans le dessein de trancher, selon ses vues, le problème algérien, dans le sens et avec les moyens qui ont été énoncés.
N’oublions pas qu’en 1958 la grande majorité de l’opinion publique était partisan du maintien de la souveraineté française en Algérie, ou, tout au moins, se montrait opposée à une politique d’abandon et de dégagement.
Face à cette situation, et face à l’attitude de l’Armée qui en constituait en quelque sorte l’expression et la synthèse, les procédés du Pouvoir furent subtils et progressifs, en vue d’aboutir à une véritable démobilisation de l’opinion publique, à une démobilisation du sens de la solidarité nationale, de la fierté nationale et de la conservation nationale.
D’une part on procède à une intoxication, à une mise en condition du public, en utilisant des arguments et des slogans faux et spécieux qui pouvaient porter, sinon sur la minorité française qui était au courant des données du problème algérien, mais sur la masse des braves gens mal informés et qui ne pouvaient se douter des ruses et des inexactitudes de la propagande officielle ; ces arguments et ces slogans ont été répétés à l’envi par la radio et la télévision d’Etat : ce sont "le sens de l’Histoire", "la guerre d’Algérie absurde et périmée", "la décolonisation nécessaire et inévitable", "le mythe de l’Algérie terre française", etc. ; d’autre part, dès que la résistance nationale française eut pris corps en Algérie et eut commencé à s’exprimer par la violence, seul moyen d’expression qui lui restait, puisque toutes les associations et groupements dits "légaux" avaient été dissous par le pouvoir, on dénonça sans relâche les excès des nationaux, en oubliant de dire qu’ils n’étaient que la conséquence des crimes, combien plus atroces et nombreux, de l’organisation FLN avec laquelle on négociait l’avenir de l’Algérie, et en passant soigneusement sous silence les effroyables aspects de la répression menée contre les nationaux par le pouvoir politique français ; enfin on essaya systématiquement de détourner l’attention du grand public du problème algérien, qui était le problème humain et national de loin le plus important, et de l’accaparer par des sujets de prestige : ce furent les voyages spectaculaires du chef de l’Etat en province et à l’étranger, les réceptions des chefs d’Etats étrangers, l’accent mis sur le rôle mondial de la France, le battage sur la force de frappe - question sur laquelle je vais revenir dans un instant, en tant que technicien.
Plus tard, lorsque la politique algérienne aboutit au fiasco et au désastre, on fit tout ce qui était possible pour masquer à l’opinion ce fiasco et ce désastre, pour passer sous silence les crimes, les tortures, les enlèvements, les détresses de toutes sortes.
A-t-on entendu, venant du chef de l’Etat, un seul appel public à la solidarité nationale en vue de participer à l’immense détresse des centaines de milliers de réfugiés ? Cet appel eût été le geste d’humanité élémentaire et il ne semble pas douteux que, dans des circonstances analogues, tout autre chef d’Etat français, tout chef d’Etat d’une nation libre, l’aurait lancé.
D’une manière générale, on peut dire que, durant cinq années, il n’a jamais été fait appel aux sentiments élevés, désintéressés et nationaux des Français métropolitains ; au contraire le pouvoir a essayé de jouer sans cesse sur l’égoïsme, sur l’irresponsabilité humaine et civique, parfois sur l’avarice, toujours sur la tendance naturelle et actuelle qui pousse nos concitoyens à s’enfoncer dans une existence de type matérialiste.
C’est ainsi que le chef de l’Etat réussit, par des référendums truqués et illégaux, à faire entériner par la majorité du corps électoral, l’abandon de l’Algérie ; bien que l’opinion publique ne puisse, à proprement parler, porter la responsabilité du non-respect des accords d’Evian et du génocide qui a suivi ; car le dernier vote positif supposait au contraire le respect des accords passés à Evian et la protection accordée en Algérie à tous ceux qui se réclamaient de la France. Ainsi les Français furent-ils amenés à entériner la liquidation de leur patrimoine en Algérie ; mais à quel prix ?
Il faut peser toutes les conséquences, sur la vie nationale, des conditions dans lesquelles fut réalisé cet abandon. Une opinion publique que le chef de l’Etat a à ce point dénationalisée, à laquelle il a peu à peu enlevé le sens de l’honneur et de la fierté nationale, le sens de la solidarité et de la conservation nationale, ne pourra plus, à propos de n’importe quel autre problème, à propos de n’importe quel autre péril extérieur ou intérieur, retrouver ce sens national qui n’est que la transposition, sur le plan personnel, de l’instinct de conservation. Ayant participé au suicide du patrimoine français en Algérie, on voit mal comment les Français pourraient ne pas se laisser aller, à propos de la première épreuve venue, au suicide national.
Si les Français ont admis, sur les incitations du chef de l’Etat, qu’il était absurde et périmé de se battre pour Alger et pour Oran, villes françaises, comment veut-on qu’ils puissent admettre, qu’ils puissent vouloir un jour se battre pour Berlin ou se battre contre les dangers externes et internes représentés par la pénétration communiste multiforme ?
Comment l’opinion publique, habituée maintenant aux slogans de la décolonisation, pourra-t-elle résister aux slogans du totalitarisme ? C’est là que réside le crime contre l’esprit, contre l’âme de la nation. D’une part on a flatté la vanité des Français par des procédés qui ont été constamment ceux de l’imposture : c’est une imposture, par exemple, de prétendre qu’on a réglé, une fois pour toutes, le problème de la décolonisation, alors que l’Algérie a abouti au désastre et que, comme chacun sait, l’Afrique noire est mal partie ; c’est une imposture de parler, comme on l’a fait récemment à la radio, des résultats "éclatants" obtenus par le gouvernement gaulliste, alors que la décolonisation s’est effectuée comme l’on sait, que la nation est divisée et désorientée, que la situation sociale et financière est en réalité précaire et que la France a été, d’une façon absurde et délibérée, isolée dans le monde. D’autre part on a constamment poussé les Français dans le sens de l’absence d’effort, de l’absence de risque, dans le sens d’un matérialisme petit-bourgeois et exclusif de tout idéal, de toute notion d’honneur, de solidarité et de conservation nationale.
Une nation que son responsable suprême laisse aller, et même oriente volontairement vers la décadence morale et spirituelle, vers le matérialisme dans la vie courante et dans les modes de pensée ; à laquelle on ne parle plus que de niveau de vie et de faits économiques, devient une proie facile pour la subversion communiste et matérialiste ; les circonstances sont telles, à l’extérieur et à l’intérieur de nos frontières, qu’au régime gaulliste doit logiquement succéder une dictature matérialiste et totalitaire, sauf réveil de la vraie France que certains s’emploient actuellement à obtenir.
A l’extérieur de nos frontières, le résultat de la politique du pouvoir, c’est d’avoir installé en Algérie un régime à caractère totalitaire dont le programme d’action, établi à Tripoli, est de l’inspiration marxiste la plus authentique, dont une bonne partie des chefs sont notoirement des sympathisants communistes même si, pour préserver le dogme du parti unique, le parti communiste algérien a été dissous. Le bloc communiste a aidé militairement et politiquement la rébellion algérienne ; actuellement, il y a de nombreuses fournitures et armes venant des pays de l’Est ; il y a de nombreux envois de techniciens et ces jours derniers, il y avait en Algérie une mission militaire chinoise. Ce processus de communisation progressive d’un pays soumis à un régime totalitaire est bien connu ; c’est celui qui a été appliqué à Cuba avec les dangers qui en sont résultés récemment pour les États-Unis ; il ne semble pas douteux que dans un avenir proche, l’Algérie peut représenter un danger de pénétration communiste en Europe occidentale, analogue ou supérieur à celui que Cuba représente aujourd’hui pour l’Amérique du Nord. Les liens d’amitié entre les dictateurs cubain et algérien sont connus. Ce qui l’est peut-être moins, c’est la synthèse islamo-marxiste qui est en cours de réalisation, avec l’appui du gouvernement algérien et qui s’exprime, par exemple, dans le livre Le Meilleur combat rédigé par un ami intime du Premier ministre algérien.
Un des principes de base de la stratégie mondiale de la pénétration communiste est qu’il faut tourner et investir l’Europe par le Sud et par l’Afrique. C’est ce qui est en train de se réaliser : l’Algérie n’est plus dans l’Alliance atlantique ; c’est pourquoi la trahison du général de Gaulle en Algérie n’est pas seulement une trahison à l’égard des populations françaises de ce pays ; c’est aussi une trahison à l’égard du monde libre tout entier, et je sais pour l’avoir constaté au cours de nombreuses missions officielles, ces dernières années, à l’étranger que nos amis américains et anglais, et en particulier nos camarades de l’armée américaine et de l’armée britannique se rendent bien compte comme nous que l’actuel chef de l’Etat trahit l’Occident et le monde libre. D’ailleurs l’Algérie totalitaire théoriquement neutraliste mais pénétrée, en fait, par le communisme, représente un danger mortel pour le reste de l’Afrique, Maroc et Tunisie en tête - et également l’Afrique noire : un travail actif de préparation est en cours dans certains pays de cette Afrique noire, notamment dans certains pays d’expression française où la décolonisation, voulue par le pouvoir, n’est une réussite ni sur le plan social, ni sur le plan économique, ni sur le plan politique.
A l’intérieur de nos frontières, le danger de subversion totalitaire résulte de cette situation de décadence morale, spirituelle et nationale dans laquelle l’actuel pouvoir a plongé volontairement le pays dans le but de faire aboutir, envers et contre tout, sa politique algérienne. Après ce qui s’est passé en Algérie, et tant que les Français seront soumis à ce pouvoir, il ne peut plus y avoir de fierté nationale, de sens de conservation nationale ; l’armée française qui devrait représenter l’honneur de la nation peut, à bon droit, se sentir déshonorée par ce qui s’est passé en Algérie, ainsi que l’ont dit publiquement des dizaines d’officiers et plusieurs généraux actuellement en retraite ou en activité.
Dès lors que, publiquement et devant toutes les nations du monde, le pouvoir français a abandonné au massacre des populations entières qui avaient fait confiance à la parole qu’il avait donnée, quelle nation du monde, quel chef d’Etat étranger, quel partenaire dans nos alliances pourra, nous le demandons, faire confiance à la parole de la France aussi longtemps que l’actuel chef de l’Etat prétendra la personnifier. Mais il est de fait que, de plus en plus, toutes les nations du monde se rendent compte que de Gaulle ne personnifie pas la France.
En outre, tout ce qui devrait constituer les structures naturelles, sociales et politiques de la nation ont été, ces dernières années, plus ou moins liquidées, amoindries ou déconsidérées par le pouvoir.
L’Armée est en proie à un grave malaise et de très nombreux officiers quittent ou veulent quitter le métier des armes.
Ce qui est vrai pour l’Armée l’est à des degrés divers pour tous les grands corps de l’Etat et de l’Administration. Le pouvoir cherche systématiquement à passer par-dessus ceux qui devraient être les véritables porte-parole et représentants des populations et qui devraient éclairer et orienter les populations sur tous les problèmes qui se posent. En éliminant tous ces intermédiaires, qui sont indispensables dans toute société normalement constituée ; en s’adressant directement aux masses populaires, qui sont forcément moins bien informées, ont moins de sens critique et de réflexe de défense, il espère avoir beaucoup plus de chances de faire admettre et approuver ses vues.
Mais le résultat c’est aussi que le peuple français n’est plus structuré, qu’il y a une véritable pulvérisation, une véritable atomisation de la société française contemporaine. L’homme français contemporain, qui est isolé, désorienté et désemparé, ne sait plus sur quoi et sur qui s’appuyer, et est prêt à se laisser entraîner aux aventures ; on peut craindre que les préoccupations essentiellement matérialistes de beaucoup de nos concitoyens, qui ont en même temps oublié où se trouve leur dignité d’hommes libres et responsables, les conduisent à aliéner leurs droits et leurs libertés d’homme et à se laisser prendre en main par une dictature matérialiste et marxiste après avoir été pris en main par l’actuel régime.
Le chef de l’Etat professe lui-même, ainsi qu’on l’a vu à propos des justifications qu’il a essayé de donner à sa politique algérienne, des vues sur l’évolution historique qui sont très proches du marxisme. Si nous en croyons certains amis, il aurait dit en privé qu’il croyait inévitable le triomphe final du communisme ; ce qui veut dire qu’il s’y résigne. Il a, par son action, porté des coups très sérieux à la solidité de l’Alliance atlantique qui est le principal rempart du monde libre ; il est le promoteur d’une politique d’isolement anachronique et vaniteux de notre pays.
En tant qu’aviateur et technicien, je me dois de mentionner les graves mécomptes auxquels la nation s’exposerait en se basant sur la force de frappe pour garantir cette politique d’isolement ; mécomptes qui risquent d’être semblables à ceux que l’on a rencontrés en 1940, en se basant sur la ligne Maginot pour assurer la sécurité du pays. J’ai rédigé, il y a deux ans, un rapport sur la force de frappe qui a été diffusé au ministère de l’Air et que je tiens à votre disposition. Les conclusions auxquelles on aboutit facilement, sont que cette force dite de dissuasion sera, en réalité, incapable de dissuader l’adversaire désigné et sera plutôt de nature, par son existence à l’intérieur de nos frontières, à attirer et à justifier, sur le pays, des coups atomiques adverses que nous serions bien incapables de rendre ; je n’ai d’ailleurs jamais entendu un général de l’armée de l’Air assurer que l’on aurait réellement la capacité de dissuasion, sauf un seul qui travaille dans la firme qui construit les bombardiers. J’insiste sur le fait que l’une des raisons de mon opposition à la politique gaulliste réside précisément dans le caractère aberrant de cette attitude d’autonomie nationale basée sur un outil militaire illusoire auquel a été sacrifié l’ensemble de la politique militaire nationale : ceci est totalement irréaliste.
Les conditions sont donc réunies pour que le peuple français se retrouve un jour sous la férule d’un régime communiste ou cryptocommuniste, sans même s’être bien rendu compte des différentes étapes qui auront été franchies pour en arriver là. Ceci sera le résultat de l’abandon des valeurs spirituelles, morales et nationales qui ont fait, dans le passé, l’armature de notre pays et dont le maintien devrait constituer la condition essentielle de survie nationale. Ceci sera le résultat de l’abandon d’un idéal de liberté et de dignité humaine, idéal qui se trouve inscrit dans les lois de la nation, qui fut dans les traditions de la nation et que le pouvoir politique a si cruellement bafoué en imposant sa propre loi aux Français d’Algérie.
Ceci m’amène à rappeler dans quelles conditions le pouvoir politique a violé, de la façon la plus cynique et la plus nette, cette loi suprême de la nation à l’intérieur de laquelle sont inscrites les garanties des droits et libertés de tous les citoyens français ; cette loi, c’est la Constitution. L’application de la Constitution s’impose à tous et d’abord au chef de l’Etat qui, par définition, en est le gardien et le garant. Cette constitution est un garde-fou qui a pour but d’empêcher le régime républicain de dégénérer en dictature et en tyrannie. Le chef d’Etat qui la transgresse se met, par ce seul fait, hors des lois de la nation ; il est coupable de forfaiture et doit être traduit en Haute Cour.
Bien d’autres que nous ont dit, avant nous, que l’actuel chef d’Etat avait transgressé et violé la Constitution. Cette Constitution, à notre avis, a été violée à la fois dans son essence, dans son esprit et dans sa lettre.
La Constitution a été violée dans son essence, car l’essence de la Constitution est d’exprimer la double loi de survie et d’unité nationale. L’unité nationale, c’est la conservation et la défense du patrimoine de la nation, c’est-à-dire du patrimoine de tous les Français, où qu’ils se trouvent. C’est l’unité nationale qui a été brisée et c’est le patrimoine national qui a été sacrifié en Algérie par le chef de l’Etat, de par ses propres volonté et initiative, sans qu’aucune pression extérieure puisse en fournir la moindre excuse. D’autre part, ce sont ces conditions de survie de la nation qui ne sont plus assurées, à la suite de cette savante entreprise de dénationalisation de l’opinion publique, qui a été menée depuis quatre ans. C’est son armature morale qui a été détruite.
La Constitution a été violée dans son esprit ; car l’esprit de la Constitution, c’est un certain nombre de principes moraux et humains : ce sont en particulier les principes de dignité et de liberté individuelles, les droits fondamentaux de l’homme : ce sont ces principes qui interdisent d’imposer, par la violence et contre son gré, son destin à une fraction de la nation ; principes qui ont été outrageusement bafoués pour les Français d’Algérie. C’est aussi le principe de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire qui ont été sans cesse bafoués ; c’est enfin le principe qui veut que le chef de l’Etat soit un arbitre entre les différents pouvoirs et non un autocrate décidant de tout et pouvant conduire la politique de la Nation selon son bon plaisir, qui n’a pas été respecté.
La Constitution a été violée dans sa lettre ; car plusieurs de ses articles ont été, depuis des années, ignorés et transgressés, en particulier cet article 89 dont la transgression a motivé l’accusation de forfaiture publiquement prononcée contre le chef de l’Etat.
Ce viol de la Constitution dans son essence, dans son esprit et dans sa lettre, fait que nous ne sommes plus sous un régime de légalité républicaine, mais sous le régime d’une dictature de fait ; les critères et les caractères de la dictature gaulliste sont analogues à ceux de bien d’autres dictatures, ce sont : d’abord l’atteinte grave portée aux droits et libertés fondamentales des personnes humaines. Nos frères Pieds-Noirs et Français musulmans avaient droit à la vie sur la terre de leurs pères ; ils avaient droit au respect de leur personne, de leur liberté et de leurs biens. Ces droits ont été abominablement bafoués, contrairement à toutes les lois et à tous les principes.
En Métropole même, la majorité des citoyens est privée, par la dictature, d’un droit fondamental de l’homme libre en tant que membre d’une démocratie : le droit au libre choix en matière d’opinion civique et politique, qui suppose que chaque citoyen dispose de la liberté d’information, seule capable de lui fournir les éléments de jugement et d’information objective, nécessaire à l’exercice de ce libre choix ; or il n’est pas douteux que le pouvoir contrôle étroitement la majorité des moyens d’information du public. Si la presse est libre, théoriquement du moins, le pouvoir sait fort bien qu’elle ne touche qu’une faible partie du corps électoral : le tirage des journaux et l’assiduité des lecteurs sont dans l’ensemble nettement plus faibles en France qu’en Angleterre par exemple. Par contre, le gouvernement est maître de la radio et de la télévision d’Etat qui constituent les principaux moyens de pression sur l’opinion publique.
Les multiples messages et discours à la télévision de l’actuel chef de l’Etat sont analogues et ont les mêmes buts que les harangues radiodiffusées d’Hitler ou que les discours des dictateurs fascistes s’adressant aux foules depuis leur balcon. Vis-à-vis d’un public crédule et privé d’information, ils ont le même effet. Nous savons le rôle qu’ont joué la radio d’Etat et la télévision d’Etat dans la mise en œuvre de la politique algérienne, en particulier dans les référendums.
Le deuxième caractère de la dictature, ce sont les méthodes de police et de justice. Il existe des preuves que plusieurs dizaines ou centaines d’hommes libres qui se sont opposés au pouvoir en Algérie furent atrocement torturés ou acculés au suicide par des méthodes policières totalitaires employées sous la responsabilité d’hommes qui ont actuellement des postes de premier plan dans le régime. Nous-mêmes, dans l’affaire du Petit-Clamart, nous souhaiterons nous expliquer sur les conditions d’arrestation, de garde à vue et de détention qui furent les nôtres et celles de certains membres de nos familles. Nous souhaitons aussi que toute la lumière soit faite sur la mort tragique de notre camarade le commandant Niaux. Ma présence dans ce box atteste l’efficacité des méthodes de garde à vue. Notre présence devant votre juridiction d’exception atteste les entorses faites aux principes judiciaires.
Enfin, un autre caractère de cette dictature, et que l’on retrouve dans toutes les dictatures, c’est la servilité extraordinaire dont ont fait preuve tant de personnes, en particulier, tant d’hommes politiques au service d’une politique qui est, de façon évidente, une très mauvaise politique nationale. Cette servilité ne peut s’expliquer que par l’existence d’un pouvoir dictatorial capable de forcer et d’orienter les consciences d’hommes faibles, intéressés ou déraisonnables.
La dictature gaulliste est donc, comme les dictatures hitlérienne et communiste, basée à la fois sur le contrôle de l’opinion, c’est-à-dire sur le mensonge, et sur la violence, c’est-à-dire sur les méthodes de coercition appliquées aux opposants ; comme les dictatures hitlérienne et communiste, elle est basée sur le mensonge plus encore que sur la violence.
Que peuvent faire les hommes libres, les citoyens libres, qui ont constaté la réalité de la dictature et qui ont mesuré ses effets funestes et mortels pour l’ensemble de la nation ou pour une partie de la nation ? Ils doivent se rappeler que nous ne sommes plus au temps du régime de la monarchie absolue et que nous ne sommes pas au temps de l’autocratie ; il n’y a plus de bon plaisir du prince, il y a une Constitution, une loi républicaine ; si le chef d’Etat transgresse cette loi, la Constitution donne aux citoyens le droit de résister au dictateur ; il y a dans la Constitution et dans les droits fondamentaux et universels de l’homme, un droit imprescriptible ; c’est le droit de résistance à l’oppression, le droit d’insurrection pour les minorités opprimées ; c’est ce droit dont M. Michel Debré disait, en d’autres temps, qu’il était aussi le plus sacré des devoirs. C’est au nom de ce droit, c’est donc au nom de la véritable légalité républicaine, transgressée par le pouvoir de fait, que le CNR s’est constitué, et c’est au nom de ce droit, c’est-à-dire au nom de la véritable légalité républicaine, que nous avons réalisé une action de force contre celui qui s’est placé hors de la légalité. Car si le chef de l’Etat sort de la légalité, il doit être taxé publiquement de forfaiture, et c’est ce qui a été fait par les plus hautes autorités de l’Etat ; si le chef de l’Etat, étant sorti de la légalité, tue ou laisse tuer ceux qui sont sous sa responsabilité, ou s’il est responsable, et seul responsable, d’un désastre national, il doit être mis par la force hors d’état de continuer à exercer son pouvoir de fait ; et c’est ce que nous avons essayé de faire, au nom de la loi.
Ce qui a été constaté, en effet, par ceux qui se sont groupés au sein du Conseil national de la Résistance, c’est la réalité de la dictature gaulliste : c’est en particulier le fait que, à l’occasion des derniers référendums et grâce au contrôle des moyens d’information, l’adhésion populaire a été usurpée par le pouvoir de fait, à l’aide de moyens illégaux et immoraux. Illégaux parce que les référendums sur l’Algérie étaient contraires à l’article 89 de la Constitution et parce que dans les périodes ayant précédé ces référendums, le corps électoral s’est vu dispenser, par les services officiels en général, et par le chef de l’Etat en particulier, une information à sens unique selon les procédés qui, dans tous les pays totalitaires, assurent infailliblement une réponse positive ; immoraux parce que le pouvoir a en fait usurpé le oui de beaucoup de Français en leur mentant sur ce que seraient les conséquences de leur oui ; beaucoup de Français ont cru de bonne foi, en votant oui, ramener la paix en Algérie et assurer la coexistence des différentes communautés, alors qu’en fait leur oui a été la porte ouverte à des massacres, à un chaos, et à une misère bien pire que ce qui existait précédemment. C’est pourquoi on ne peut pas dire que ces référendums illégaux et immoraux représentaient réellement la volonté du peuple français. Au surplus, même si le peuple français a approuvé les accords d’Evian, il n’a pas approuvé le non-respect des accords d’Evian, c’est-à-dire la dispersion et la destruction des communautés françaises de souche et le génocide des Français musulmans. Le chef de l’Etat de fait est donc seul, avec quelques ministres, à porter la responsabilité de cette destruction et de ce génocide, contraire à la lettre sinon à l’esprit des accords d’Evian.
Partant de la réalité de la dictature gaulliste, que peut-on dire sur son point d’application ? Il est certain que, dans ce pays ou dans d’autres pays, nous avons connu précédemment et au cours de l’Histoire, d’autres dictatures et d’autres formes de pouvoir personnel. Mais il est sans précédent que, comme c’est le cas aujourd’hui, tous les moyens d’action que permet la dictature, c’est-à-dire la violence, le conditionnement des masses, les procédés de répression aient été employés exclusivement contre une partie de la population française, pour lui imposer un destin qu’elle refusait et pour amoindrir le patrimoine national.
Le pouvoir personnel de Napoléon Ier, de Napoléon III, la dictature d’Hitler, s’étaient donné comme tâche de grouper les Français ou les Allemands pour réaliser une politique d’expansion territoriale de la France ou de l’Allemagne qui, pour discutable qu’elle ait été, n’était pas, de ce seul fait, contraire à l’honneur de la France ou de l’Allemagne et contraire aux intérêts de ces pays.
Au contraire, la dictature de de Gaulle a eu pour effet principal et s’est donné pour tâche essentielle de briser l’unité des Français et l’unité nationale, sans aucune contrepartie sur le plan de la politique générale de la France ; elle est, par ce seul fait, contraire à la fois à l’honneur et aux intérêts de la France.
Partant de ces constatations, le CNR s’est cru en droit d’exercer contre la dictature, dans le cadre de la légalité républicaine, la résistance à l’oppression des minorités opprimées, et le droit d’insurrection qui sont des droits formellement reconnus par notre Constitution, comme ils le sont par la Convention universelle des Droits de l’Homme, comme ils l’ont été par toutes les constitutions de tous les régimes démocratiques depuis le temps des cités grecques et des républiques romaines. Ce droit est au cœur de l’homme, il exprime tout simplement sa volonté de vivre et de survivre, c’est le droit de légitime défense. Le droit de légitime défense existe, sur le plan collectif, contre les dictateurs et les tyrans, de même qu’il existe, sur le plan individuel, contre les voleurs et les assassins. En vertu de ce droit, nous pouvons et nous devons défendre nos frères spoliés et assassinés en raison de la politique et de l’action personnelle du dictateur. Car j’insiste sur le fait que le non-respect des accords d’Evian résulte de la seule volonté du chef de l’Etat de fait.
Dans tous les régimes républicains, ceux qui sont sortis de leur rôle de chef d’Etat républicain, pour s’arroger les pouvoirs d’un dictateur, ont toujours su que des citoyens libres pouvaient se réunir pour les combattre, en vertu des lois républicaines. Ces citoyens libres ne sont pas plus justiciables des lois de la République auxquelles ils se conforment, que ne l’est un simple citoyen qui défend sa sœur menacée de viol ou de meurtre. Nous-mêmes qui sommes ici, nous ne sommes pas justiciables des lois républicaines, nous ne tombons sous le coup d’aucun article du Code pénal, car nous n’avons fait que défendre nos frères et nos soeurs menacés de viol et de meurtre. Puisque, par hypothèse, vous nous jugez conformément à la loi, ainsi qu’il est dit à la page 41 de l’exposé des faits que vous nous avez fait remettre, vous devez nous reconnaître non coupables.
Sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, les lois constitutionnelles et pénales d’une part, les lois morales d’autre part, sont en complet accord. Nous nous garderons de vouloir transformer ce procès en un procès religieux. Mais nous tenons à rappeler que les chrétiens que nous sommes ne seraient des criminels que s’ils avaient gravement enfreint l’un des commandements de Dieu.
Nous savons qu’il existe un cinquième commandement qui interdit l’emploi de la force, sauf dans des cas précis qui ont été étudiés et définis par l’Eglise ; de même qu’il existe un deuxième et un huitième commandement qui interdisent à tous, singulièrement aux chefs d’Etat, les faux serments et les mensonges destinés à abuser la bonne foi de leurs concitoyens.
Mais nous savons qu’il existe un premier commandement, qui est le plus grand de tous, et qui nous commande la charité et la compassion envers nos frères dans le malheur. C’est pourquoi il a de tout temps été admis dans la chrétienté que, dans certaines conditions, un acte de force pouvait être un acte d’amour ; et c’est pourquoi, selon l’enseignement traditionnel, peuvent être licites des actions de force dirigées contre ceux qui ont perdu le sens moral et le sens humain, et qui précipitent dans la désolation ceux qu’ils ont la charge de protéger et de défendre. Si l’action que nous avons menée, en accord avec les représentants de toutes les élites de la nation, avait réussi, l’une des premières conséquences escomptées eût été l’arrêt du génocide en Algérie. L’actuel chef de l’Etat aurait pu arrêter ce génocide en donnant un seul ordre, qu’il n’a pas donné, et, à notre avis, il en portera à tout jamais la responsabilité.
Nous n’avons pas agi par haine de de Gaulle, mais par compassion pour les victimes de de Gaulle et pour sauvegarder des vies humaines innocentes sacrifiées par un pouvoir tyrannique. Saint Thomas d’Aquin nous dit : "C’est le tyran qui est séditieux et qui nourrit dans le peuple les discordes et la sédition ; car le régime tyrannique n’est pas juste et n’est pas ordonné au bien commun ; sont dignes de louange ceux qui délivrent le peuple d’un pouvoir tyrannique". Selon saint Thomas, le chef d’Etat a pour devoir premier et principal de gouverner ses sujets selon les règles du Droit et de la Justice, en vue du bien commun de la collectivité ; si, perdant de vue la fin pour laquelle il exerce ce pouvoir, il s’en sert pour lui-même et pour satisfaire ses passions et ses conceptions, il ne règne plus que sur un troupeau d’esclaves ; lui-même n’est plus un chef d’Etat, mais un tyran.
Nous croyons donc que les ecclésiastiques éminents qui ont été consultés, et qui n’ont pas déconseillé notre action, n’ont fait que rappeler les commandements de Dieu, le principe et le droit de légitime défense, et la morale traditionnelle enseignée par l’Eglise en la personne d’un de ses plus grands philosophes. Il n’y a guère de place ici pour des arguties théologiques. La tyrannie du général de Gaulle n’appartient pas à ce genre de tyrannie "douce" à laquelle certains Pères de l’Eglise conseillent de se résigner par esprit de patience et de mortification chrétiennes. C’est une tyrannie violente, sanglante, qui divise, qui détruit et qui est responsable de la mort d’innombrables victimes.
A notre avis, les règles morales et les règles constitutionnelles se rejoignent à propos de notre action. Saint Thomas d’Aquin n’a fait d’ailleurs, sur ce point, que transposer et sublimer sur le plan de la morale chrétienne les principes de la Cité posés par les philosophes grecs en général et par Aristote en particulier. Les principes de la Cité grecque se retrouvent dans le droit romain, dont nos principes constitutionnels sont héritiers.
Je ne rappellerai pas les conditions dans lesquelles a été créé le Conseil national de la Résistance. Cette création n’est au fond que la réaction naturelle et légitime de nombreux représentants des cadres et des élites de la nation devant la politique gaulliste. Le CNR est un organisme politique, c’est une autorité politique, et son action se situe dans le cadre constitutionnel, conformément aux lois en vigueur dans la nation.
Le CNR est conscient du fait que la "légitimité profonde" n’appartient plus au général de Gaulle, pour autant qu’elle lui ait jamais appartenu, car le dictateur ne peut plus représenter l’honneur et les intérêts véritables de la nation. Cette légitimité profonde appartient en fait aux cadres, aux élites, qui sont conscients de tous les torts que la politique gaulliste a causés à la France, qui veulent servir les intérêts véritables de la nation, et rétablir son honneur.
Nous ne sommes pas des maniaques de l’antigaullisme, parce que nous savons que la dictature gaulliste n’est qu’un accident dans la vie nationale de la France, accident rendu possible par les conditions ambiantes qui, nous l’espérons, devraient être amenées à se modifier rapidement. Notre résistance est une résistance à l’abandon infamant et démentiel de positions nationales essentielles, et une résistance à la dictature qui a nié et continue à nier les droits et les libertés essentielles d’une partie des membres de la collectivité nationale ; qui a opprimé, par des moyens atroces, et continue à opprimer une partie des membres de la collectivité nationale, et qui est le contraire d’une vraie démocratie et d’une vraie république. C’est pourquoi la Résistance nationale peut actuellement compter sur des concours actifs aux plus hauts postes de l’Etat, dans l’Armée, dans l’Administration, dans toutes les couches sociales, dans toutes les classes de la nation, en particulier dans les milieux humbles et ouvriers. C’est pourquoi les hommes qui dirigent la Résistance nationale sont ou seront amenés à s’entendre avec tous les hommes de bonne volonté qui sont à la fois nationaux, républicains et opposés au totalitarisme. C’est pourquoi la Résistance nationale se propose de faire l’union avec tous les Français de bonne volonté.
Nous n’avons pas à exposer ici le programme politique qui a été proposé par le CNR. Ce programme se situe dans le cadre constitutionnel théoriquement en vigueur, et il a essentiellement un aspect humain. Il vise à faire de la société française une société humaine, et non pas une société économique et matérialiste comme le voudrait l’actuel pouvoir de fait ; il vise à faire du citoyen français un être humain, libre et responsable, et non pas un être purement économique, incivique et irresponsable, comme a cherché à le faire l’actuel pouvoir de fait, dans le but d’assurer sa dictature.
Nous n’appartenons pas à cette droite qui est non seulement la plus bête, mais la plus lâche du monde, et qui a fait faillite. Nous sommes profondément conscients de l’injustice sociale qui existe en France par suite du conservatisme étroit de certains possédants et à cause de certaines formes immorales du capitalisme. Nous sommes conscients des réformes profondes à réaliser pour aboutir à plus de justice sociale.
Nous sommes pour l’Europe, car nous croyons que la France peut s’intégrer à l’Europe sans renoncer à rien de ce qui fut les gloires de son passé et de ce qui fait son patrimoine moral et spirituel. Nous sommes pour la communauté atlantique parce que nous croyons que, face à la menace permanente et écrasante de subversion communiste, le monde libre ne doit pas se laisser diviser et doit être entièrement solidaire de l’Amérique.
Sur le plan algérien, nous nous devons de dire bien haut qu’il n’est pas possible de considérer, à aucun titre, que le problème algérien a été réglé définitivement par les honteux accords qui ont été signés à Evian et qui n’ont pas été respectés. Notre pays a des droits et des responsabilités en Algérie ; ces droits et ces responsabilités sont impérissables et inaliénables ; l’avenir de l’Algérie, de cette terre qui fut française depuis plus de cent trente ans, ne peut s’accomplir qu’en union avec la France ; la communauté française d’Algérie doit redevenir nombreuse et florissante ; ce qui reste des collectivités franco-musulmanes doit être protégé, et la France se doit de servir les intérêts de tous les Musulmans algériens qui furent si longtemps à ses côtés et de ne pas les abandonner au totalitarisme.
Le mouvement CNR eut à prendre des décisions concernant la personne du chef de l’Etat de fait. Il prit ces décisions à partir du fait, constaté par des représentants des cadres et des élites de la nation, que le chef de l’Etat de fait était sorti de la légalité républicaine et qu’il avait instauré un régime dictatorial non conforme à la Constitution ; il a été constaté par le CNR qu’une minorité nationale a été, ces dernières années, constamment opprimée par ce régime dictatorial ; cette minorité nationale, ce fut celle des Français d’Algérie et des Français musulmans d’Algérie ; c’est encore, à l’heure actuelle, celle des Français et Français musulmans d’Algérie ; mais c’est aussi la minorité composée de milliers et de milliers de Français métropolitains qui, appliquant le grand principe de la solidarité humaine, ont voulu défendre leurs concitoyens ; plusieurs milliers de ces Français métropolitains remplissent, à l’heure qu’il est, les prisons du régime. Indépendamment de la violation grave de la Constitution qui constitue l’atteinte aux droits et libertés fondamentales de cette minorité française, le CNR a eu à constater d’autres violations graves de la Constitution par le chef de l’Etat de fait. A partir de ces constatations, le CNR a reconnu que le chef de l’Etat de fait était coupable de forfaiture.
Le CNR a constaté également que les intérêts vitaux et sacrés des minorités françaises d’Algérie avaient été trahis et bafoués par le chef de l’Etat de fait, en vertu d’une politique qui a été imposée, par la force et contre son gré, à cette minorité, et qui est une trahison, non seulement à l’égard de ces minorités, mais aussi à l’égard des intérêts de la France entière et du monde libre. Le CNR a constaté que cette trahison par le pouvoir de fait des minorités d’Algérie n’avait pas été approuvée par la nation française, car elle s’est effectuée en violation des accords d’Evian ; accords qui ont été approuvés par les Français métropolitains et non par les minorités d’Algérie, le non-respect de ces accords n’ayant été approuvé ni par les Français métropolitains ni par les minorités d’Algérie ; le chef de l’Etat de fait est donc seul responsable du non-respect de ces accords ; la conséquence du non-respect de ces accords, c’est ce qu’on appelle un génocide. Il y a génocide lorsque des communautés d’êtres humains, qui possédaient, en tant que communauté, une vie et une existence propres, qui avaient donc un être, sont détruites et dispersées ; il y a aussi génocide lorsque des dizaines de milliers de Français musulmans ont été abandonnés, par le pouvoir de fait, à leurs égorgeurs.
Le CNR a constaté, en résumé, ce que tout homme et tout Français de bonne foi peut également constater, à savoir que le chef de l’Etat de fait était coupable de violation grave de la Constitution, c’est-à-dire de forfaiture ; qu’il était coupable du crime de haute trahison à l’égard des minorités d’Algérie, de la France métropolitaine et du monde libre ; qu’il était coupable ou complice du crime de génocide, car il n’avait qu’un ordre à donner pour faire arrêter ce génocide ; cet ordre c’était de faire respecter les accords d’Evian. J’ajoute qu’en plus le chef de l’Etat de fait est coupable d’un crime qui, contrairement aux crimes précédents, n’est pas sanctionné par la loi : c’est le crime d’infamie, car il n’y a pas d’infamie plus grande que d’abandonner à leurs bourreaux des hommes qui ont fait confiance à la France et se sont rangés sous son drapeau ; n’y aurait-il eu en Algérie qu’un seul nouveau capitaine Moureau, le chef de l’Etat de fait aurait été coupable du crime d’infamie ; mais il y en a des milliers et des milliers ; il y a eu des milliers de martyrs abandonnés aux tortures de leurs bourreaux, de même qu’il y a des milliers de Français et de Françaises abandonnés aux mains des hommes du FLN et livrés à leur bon plaisir.
C’est à partir de la constatation selon laquelle le général de Gaulle est coupable des crimes de forfaiture, de haute trahison et de complicité de génocide, que nous avons agi conformément aux possibilités que donne la loi. Nous croyons que cette action était juste ; car les mobiles de cette action sont ceux que dictent la morale, le droit et la raison humaine ; car la morale, le droit et la raison humaine s’accordent à reconnaître que la politique du général de Gaulle est à la fois immorale, illégale, aberrante et infamante.
Les décisions qui ont été prises par le CNR concernent uniquement l’action qui a été celle du général de Gaulle depuis quatre ans ; sur ce qui a été fait par lui précédemment, je donnerai cependant une observation à titre personnel : c’est que les hommes de ma génération, qui n’ont pas eu à prendre parti dans les luttes internes et à se ranger dans les factions qui ont divisé ce pays au cours de la dernière guerre, se rendent compte que, à propos de certains événements qui se sont déroulés pendant cette guerre, des mythes ont été construits par ceux qui ont été les acteurs de ces événements et les profiteurs de ces mythes ; avec un peu de recul, les historiens pourront dire d’où a soufflé, à cette époque, le vent qui a divisé les Français ; les historiens diront aussi qu’après la Libération, l’union des Français de bonne volonté pouvait être réalisée dans la réconciliation, mais que cette union n’a pas été réalisée ; qu’il y a eu, au contraire, l’une des épurations les plus sanglantes de notre histoire, plus sanglante même que la Révolution française ; qu’il y a eu, au lieu de la réconciliation nationale, un retour en force des communistes au sein et à la tête de l’Etat. Je pense donc que l’Histoire fera justice de certains mythes.
Ce qui a été exposé, concernant les motifs de notre action, décrit ce qui était attendu de la réussite de cette action ; nous n’en attendions pas le déclenchement d’une guerre civile, car il serait absurde de dire que les conditions permettant une guerre civile auraient existé ; nous en attendions essentiellement le rétablissement d’une vraie légalité républicaine et nationale, condition de la réalisation d’une union retrouvée entre tous les Français nationaux, républicains et opposés au totalitarisme. Cette légalité républicaine retrouvée permettait d’imposer, dans un premier temps, le respect des accords passés par la France, c’est-à-dire la fin d’un génocide, la sauvegarde de milliers de vies humaines, la fin ou tout au moins l’atténuation de souffrances innombrables et cruelles : la France aurait, nous en avions la certitude, recommencé à faire son devoir qui est de protéger tous ses enfants. Nous pensions que, dans un deuxième temps, cette action rendait possibles les conditions de réalisation d’une restauration nationale, pouvant être menée à partir des principes qui ont été esquissés, dans une nation qui se serait réconciliée avec elle-même.
Nous avons cherché s’il existait des précédents historiques à la mise en pratique du droit de résistance à l’oppression sous la forme où nous l’avons exercée, et nous en avons trouvé plusieurs ; il existe des précédents dans l’Histoire sainte, il en existe dans l’histoire des cités grecques et des républiques romaines, il en existe dans l’histoire des États modernes, et je ne mentionnerai que celui qui s’est déroulé il y a dix-neuf ans dans un pays voisin du nôtre.
En juillet 1944, des officiers qui représentaient l’élite de l’armée allemande, menèrent, contre le dictateur Adolf Hitler, une action qui, si elle fut sur le plan pratique très différente de celle que nous avons menée, présentait, nous le croyons, certaines analogies dans les mobiles ; dans l’un et l’autre cas, il s’agissait de dictateurs mus par le même orgueil insensé et démesuré, et la même volonté de puissance à l’égard de leurs semblables ; qui entraînent le dérèglement du jugement ; qui conduisent les dictateurs à s’identifier faussement à la nation qu’ils prétendent incarner ; qui leur font se forger une conception aberrante de ce qu’ils appellent leur rôle historique ; qui les poussent à haïr et à détruire leurs adversaires ; qui les mènent au même mépris des hommes et de la dignité humaine. Ce que le dictateur Hitler exaltait chez les Allemands de 1936, c’était le mépris des faibles, le goût de la violence et de la puissance ; tandis que les sentiments auxquels le dictateur de Gaulle a fait appel chez les Français de 1960, ce sont, nous l’avons vu, la propension trop marquée au matérialisme, à l’égoïsme individuel et collectif, à l’incivisme et à l’irresponsabilité politique.
Dans les deux cas, il s’agit de l’exploitation cynique de certaines tendances naturelles à l’homme ; car les dictateurs drainent à leur profit une part de ce qu’il y a de mauvais et de bas dans l’âme humaine ; ce qui leur permet de réaliser assez facilement l’asservissement mental d’une partie de la nation.
Ce qui détermina le maréchal Rommel, le lieutenant-colonel van Stauffenberg et leurs compagnons à agir, ce fut sans doute la crainte de voir leur pays détruit matériellement et livré, en totalité ou en partie, au communisme, comme suite à la politique insensée du dictateur ; je n’ai pas besoin de dire que nos mobiles sont les mêmes si l’on remplace le risque de destruction matérielle de l’Allemagne en 1944 par le risque actuel de destruction morale et spirituelle de la France. Ces officiers ont dû aussi être douloureusement frappés par le génocide hitlérien des Juifs, comme nous le sommes par le génocide gaulliste des Français musulmans : ils ont dû être soulevés au plus profond d’eux-mêmes par l’horreur des camps de concentration nazis, comme nous l’avons été par l’horreur des camps de détention qui existent aujourd’hui en Algérie avec la complicité du pouvoir de fait. Cependant, pour la majorité de l’armée allemande, Hitler représentait encore à cette époque une certaine gloire militaire et n’avait pas compromis l’honneur de cette armée ; alors que, pour la majorité de l’armée française d’aujourd’hui, le général de Gaulle a déshonoré le drapeau en l’amenant en Algérie dans les conditions du parjure et de l’infamie ; c’est pourquoi le problème de conscience de ces officiers allemands a peut être été, dans l’Allemagne en guerre, plus difficile que le nôtre.
Ces officiers, après avoir été condamnés par un tribunal d’exception, sont maintenant honorés en Allemagne par leurs concitoyens et par les autorités morales et politiques. Ceci nous a été un encouragement dans notre action.
Au terme de ce long exposé, je voudrais souligner que nous avons tenu à expliquer les circonstances et les raisons qui nous ont conduits à l’action ; nous avons dit pourquoi nous avons agi, et nous sommes prêts à dire comment nous avons agi. Mais les explications que nous avons données ne sont pas une justification car, ainsi que l’a dit avant nous le général Salan, nous n’avons pas à nous justifier, devant votre juridiction, d’avoir accompli l’un des devoirs les plus sacrés de l’homme, le devoir de défendre des populations victimes d’une politique barbare et insensée. Nous ne devons de comptes qu’à ces populations ; nous ne devons de comptes qu’au peuple français et à nos enfants. En faveur de ces populations, nous avons exercé le droit qui est au cœur de l’homme, le droit qui exprime sa volonté de vivre et de survivre, et qui est le droit de légitime défense.
Nous n’avons transgressé ni les lois morales ni les lois constitutionnelles, en agissant contre un homme qui s’est placé lui-même hors de toutes les lois : hors des lois morales, hors des lois constitutionnelles, hors des lois humaines. C’est pourquoi, si vous vous conformez aux lois de la République, vous devez nous reconnaître innocents. Car, avant de nous faire condamner, le pouvoir de fait devrait faire modifier, par le Parlement, l’un des points essentiels de la Constitution qui reconnaît à l’homme, en tant que droit fondamental et inaliénable, le droit de résistance à l’oppression. Le pouvoir de fait devrait, avant de nous condamner, faire voter par le Parlement une loi de lèse-majesté, ou de lèse-dictateur. Seule cette loi permettrait de condamner ceux qui ont agi contre le dictateur, en tant qu’il est le dictateur. Encore cette loi ne nous serait-elle pas applicable, en vertu de la non-rétroactivité des lois.
Pour nous, nous avons agi contre Charles de Gaulle en tant qu’il est un citoyen, justiciable, comme les autres citoyens français, des lois de la nation ; et en tant que ce citoyen est responsable d’innombrables morts et d’immenses souffrances ; en tant que ce citoyen est responsable chaque jour de nouveaux meurtres et de nouvelles souffrances ; et en tant que c’est notre droit, et que nous avons considéré que c’était notre devoir de défendre légitimement les victimes de ces meurtres et de ces souffrances.
Nous n’avons pas de sang sur les mains, mais nous sommes solidaires de ceux qui ont été amenés à verser le sang au cours d’une guerre civile qui a été imposée par les parjures et par la trahison du pouvoir de fait.
Nous sommes solidaires du lieutenant Degueldre qui a tenu son serment d’officier de se battre pour ne pas livrer l’Algérie au FLN, et qui est mort.
Nous sommes solidaires des généraux de Tulle, de ceux que les circonstances ont conduits à verser le sang, comme de ceux que les circonstances ont conduits à ne pas verser le sang, et que le pouvoir de fait a tenté récemment de séparer, à la suite d’une manoeuvre de division, conforme à la ligne de conduite de ce pouvoir qui n’a fait que diviser et que détruire.
Nous sommes solidaires de tous ceux qui, dans les prisons, dans la clandestinité, à l’étranger ou en France, aux postes officiels ou dans les diverses couches de la population, constituent la Résistance française à l’abandon et à la dictature. La Résistance nationale française est une ; elle ne se laissera pas diviser ; elle sera debout tant que durera la dictature et tant que durera l’abandon.
Nous croyons avoir dit la vérité, après beaucoup d’autres hommes qui ont dit cette vérité avant nous en de nombreux discours et en d’innombrables écrits ; nous pensons que, tôt ou tard, cette vérité sera connue des Français et l’emportera sur l’imposture et sur les mensonges des hommes au pouvoir, sur les déclarations lénifiantes de beaucoup, et sur les silences complices de la radio d’Etat, de la télévision d’Etat et de certains organes de presse. Peut-être nos propos seront-ils déformés par la radio d’Etat, par la télévision d’Etat et par ces organes de presse, comme ont été déformés ceux que nous avons tenus au moment de notre arrestation ; on n’empêchera pas qu’ils reflètent l’expression de la vérité.
Malgré l’extraordinaire mauvaise foi des hommes au pouvoir, malgré leur extraordinaire cynisme, c’est une vérité qu’il y a eu, qu’il y a en France et en Algérie, des milliers de morts et de martyrs, qu’il y a des milliers de disparus et des centaines de milliers d’exilés, qu’il y a des camps de détention et de tortures, qu’il y a eu de nombreux viols et de nombreux massacres, qu’il y a des femmes françaises obligées de se prostituer dans les camps du FLN. C’est une vérité que le pouvoir de fait aurait pu épargner ou limiter toutes ces horreurs s’il l’avait voulu ; mais c’est une vérité qu’il ne l’a pas voulu. C’est aussi une vérité que ce pouvoir fait le jeu du communisme en divisant le monde libre.
C’est une vérité que l’homme contre lequel nous avons agi est, à tous moments, passible de la Haute Cour, et qu’il suffirait d’un minimum de clairvoyance et de courage de la part des parlementaires pour l’y traduire ; le dossier de ses forfaitures, de ses crimes et de ses trahisons existe, et des milliers d’hommes sont prêts à témoigner de la réalité de ces forfaitures, de ces crimes et de ces trahisons.
Nous avons exercé le droit de légitime défense contre un homme, au nom de ses victimes, au nom de nos concitoyens et au nom de nos enfants ; cet homme est ruisselant de sang français et il représente la honte actuelle de la France. Il n’est pas bon, il n’est pas moral, il n’est pas légal que cet homme reste longtemps à la tête de la France ; la morale, le droit et la raison humaine s’unissent pour le condamner. La vérité que nous avons dite, et que bien d’autres que nous ont dite avant nous, restera attachée au nom de cet homme, où qu’il aille et quoi qu’il fasse. Un jour cet homme rendra compte de ses crimes : devant Dieu, sinon devant les hommes.
Le pouvoir de fait a la possibilité de nous faire condamner ; mais il n’en a pas le droit. Les millions d’hommes et de femmes qui ont souffert dans leur chair, dans leur cœur et dans leurs biens, de la politique abominable et souverainement injuste qui a été menée, sont avec nous dans ce prétoire pour dire que nous n’avons fait que notre devoir de Français. Devant l’Histoire, devant nos concitoyens et devant nos enfants, nous proclamons notre innocence, car nous n’avons fait que mettre en pratique la grande et éternelle loi de solidarité entre les hommes.